La destinée extraordinaire d'Hatchepsout prend racine dans ses origines familiales complexes. Son parcours, depuis sa naissance jusqu'à ses premières implications politiques, révèle déjà les fondements de ce qui deviendra l'un des règnes les plus remarquables de l'Égypte ancienne.
Née à Thèbes entre 1508 et 1495 avant notre ère, Hatchepsout est la fille aînée du pharaon Thoutmôsis Ier et de la Grande épouse royale Ahmès. Son nom même semble annoncer son destin hors du commun, car il signifie "elle est à la tête des nobles dames". Cette appellation prophétique aurait été prononcée par sa mère en contemplant l'enfant, reconnaissant peut-être déjà en elle un caractère exceptionnel.
Dès sa naissance, la petite princesse est confiée aux soins d'une nourrice, Sat-Rê, comme le veut la tradition pour les enfants royaux. Quatre ans plus tard, ses parents ont une seconde fille, Néféroubity, qui malheureusement décède jeune, vers l'an 3 du règne de son père.
Un élément crucial dans le destin d'Hatchepsout réside dans ses origines familiales. En effet, contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, ses parents appartiennent vraisemblablement à une branche latérale de la royauté et ne faisaient pas initialement partie de la famille royale directe. Cette particularité explique peut-être la détermination future de la princesse à asseoir sa légitimité.
Outre sa sœur, Hatchepsout avait également trois demi-frères issus de l'union de son père avec Moutnofret Ire, son épouse secondaire : Amenmès, Ouadjmès, et celui qui deviendra Thoutmôsis II. L'éducation qu'elle reçoit est exceptionnelle, la préparant aux hautes responsabilités qui l'attendent dans la cour pharaonique.
Fait notable, son père aurait manifesté une préférence particulière pour elle, la préparant consciemment à un grand avenir politique. Une inscription au temple de Deir el-Bahari rapporte même qu'il aurait déclaré : "je la mettrai à ma place", laissant entrevoir sa volonté de faire d'elle son héritière.
Vers l'an VII du règne de Thoutmôsis Ier, alors qu'elle a environ quinze ans, Hatchepsout épouse son demi-frère Thoutmôsis. Ce mariage, loin d'être motivé par des sentiments personnels, s'inscrit dans une stratégie politique orchestrée par Moutnofret Ire, seconde épouse de Thoutmôsis Ier et mère du futur Thoutmôsis II.
L'enjeu de cette union dépasse largement les considérations sentimentales : il s'agit avant tout de garantir la légitimité dynastique de Thoutmôsis II pour sa future accession au trône. Par ce mariage, Hatchepsout accède au rang de Grande épouse royale, position qui lui confère une influence considérable.
Vers l'an 10 ou 11 du règne de son père, Hatchepsout donne naissance à une fille, Néférourê, dont le nom signifie "La beauté de Rê" ou "La perfection de Rê". À la demande expresse du roi Thoutmôsis Ier, l'enfant est confiée aux soins d'Ahmès Pen-Nekhbet, le même "père nourricier" qui avait veillé sur l'enfance d'Hatchepsout, soulignant l'importance accordée à cette princesse dans la succession royale.
La durée du règne de Thoutmôsis II fait l'objet de débats parmi les historiens, certains l'estimant à treize années selon Manéthon, tandis que d'autres la réduisent à seulement trois ans. Néanmoins, durant cette période, des indices révèlent déjà l'influence grandissante d'Hatchepsout.
En effet, bien que son mari ait accédé au rang de pharaon, les sources historiques suggèrent qu'il manquait de force de caractère pour diriger efficacement. Par conséquent, Hatchepsout commence à affirmer son influence politique dès son règne, s'initiant activement aux arcanes du pouvoir étatique.
Cette période constitue donc un apprentissage précieux pour la future reine-pharaon, qui développe ses compétences politiques et sa compréhension des mécanismes du pouvoir, posant ainsi les jalons de son extraordinaire ascension à venir.
À la mort de son époux Thoutmôsis II en 1479 avant notre ère, l'Égypte se trouve face à une situation délicate mais non sans précédent dans son histoire millénaire.
Lorsque Thoutmôsis II décède, son fils Thoutmôsis III, né d'une épouse secondaire nommée Isis, devient l'héritier légitime du trône. Néanmoins, ce dernier n'a que cinq ans, un âge trop tendre pour gouverner l'empire égyptien. Hatchepsout, en tant que Grande épouse royale du défunt pharaon, assume donc naturellement le rôle de régente.
Cette position transitoire n'a rien d'inhabituel dans l'histoire égyptienne. Hatchepsout s'installe alors dans un ancien palais de son père, situé sur la rive droite du Nil à Thèbes, à proximité du temple d'Amon. Elle nomme symboliquement ce palais « je ne m'éloignerai pas de lui », marquant ainsi son attachement tant à son père qu'au dieu Amon.
Durant ces premières années de régence, Hatchepsout poursuit fidèlement les projets architecturaux initiés sous le règne de son époux, notamment l'érection de deux obélisques à Karnak, dédiés à la gloire d'Amon. Ces monuments portent alors les noms de l'enfant-roi et de la régente, respectant ainsi l'ordre hiérarchique établi.
Cependant, entre la deuxième et la septième année du règne officiel de Thoutmôsis III, une transformation radicale s'opère. Hatchepsout, qui jusqu'alors exerçait fermement mais légitimement la régence, décide de franchir une étape sans précédent : elle se fait couronner pharaon.
Le moment exact de ce couronnement demeure incertain. Certains égyptologues, comme Claude Vandersleyen, le situent probablement en l'an 3 du règne de Thoutmôsis III. D'autres sources suggèrent que c'est précisément le premier jour de la septième année du règne qu'elle organise cette cérémonie exceptionnelle.
Fait remarquable, Hatchepsout n'écarte pas son neveu du pouvoir. Au contraire, elle établit un système de co-régence où elle occupe un double trône partagé avec Thoutmôsis III. Les actes officiels portent désormais les noms des deux souverains, bien que dans les faits, c'est Hatchepsout qui détient la prééminence.
Cette ascension extraordinaire n'aurait jamais été possible sans le soutien déterminant du haut clergé d'Amon, dirigé par le grand prêtre Hapouseneb. Par ailleurs, des personnalités influentes comme Sénenmout, « trésorier du roi » et « grand intendant », deviennent des piliers essentiels de son pouvoir.
En tant qu'ancienne épouse d'Amon, Hatchepsout possède une connaissance approfondie des rituels et du langage sacerdotal liés au dieu. Cette expertise s'avère déterminante pour obtenir l'appui des religieux. Un oracle d'Amon à Karnak l'aurait d'ailleurs désignée comme roi, légitimant ainsi son accession au trône.
Pour asseoir définitivement sa légitimité, Hatchepsout déploie une stratégie théologique brillante : la théogamie, soit l'union d'une divinité avec une mortelle. Dans son temple funéraire de Deir el-Bahari, elle fait inscrire le récit de sa naissance divine.
Selon cette narration, elle n'aurait pas été engendrée par Thoutmôsis Ier, mais par le dieu Amon lui-même, qui aurait pris l'apparence de son père pour s'unir à sa mère Ahmès. Cette union, représentée de façon très chaste dans les bas-reliefs, est symbolisée par leurs jambes enlacées, leurs pieds reposant sur le signe du ciel.
Désormais pleinement pharaon, Hatchepsout abandonne les attributs féminins de la royauté. Elle remplace sa robe fourreau et sa couronne de reine par le costume masculin traditionnel : pagne court, némès (coiffe royale) et même la barbe postiche caractéristique des pharaons. Cette transformation visuelle complète sa métamorphose politique, faisant d'elle non pas une reine, mais un roi à part entière.
Le règne d'Hatchepsout se distingue par des réalisations monumentales qui témoignent de sa vision ambitieuse pour l'Égypte. Pendant ses deux décennies au pouvoir, elle a initié des projets architecturaux et commerciaux d'une ampleur exceptionnelle.
L'une des entreprises les plus marquantes du règne d'Hatchepsout fut l'expédition vers le mystérieux pays de Pount, située probablement sur les côtes de la Somalie actuelle. Organisée vers l'an 9 de son règne, cette mission commerciale visait à rétablir des liens rompus depuis près d'un siècle. Cinq navires furent envoyés, chargés de produits égyptiens à échanger. Les bas-reliefs de Deir el-Bahari illustrent en détail ce voyage exceptionnel, montrant les habitations sur pilotis des habitants de Pount et leur chef accompagné de son épouse à la silhouette singulière.
Vos yeux auraient été émerveillés par les trésors rapportés : encens, ébène, ivoire, or, peaux de panthères et animaux exotiques. Plus remarquable encore, trente-et-un arbres à myrrhe furent transportés dans des paniers jusqu'en Égypte pour être replantés dans les jardins du temple d'Amon.
À Karnak, Hatchepsout fit ériger deux obélisques monumentaux taillés dans du granit rose d'Assouan. Ces gigantesques monolithes de 29,5 mètres de hauteur furent transportés et dressés en seulement sept mois, prouesse technique extraordinaire pour l'époque. L'un d'eux se dresse encore aujourd'hui, orné d'inscriptions glorifiant le pharaon et sa filiation divine avec Amon.
Le chef-d'œuvre architectural d'Hatchepsout demeure sans conteste son temple funéraire de Deir el-Bahari. Édifié sur trois terrasses successives adossées à la falaise thébaine, ce monument révolutionnaire se distingue par son harmonie parfaite avec le paysage environnant. Conçu par l'architecte Sénenmout, il présente des innovations uniques comme ses rampes d'accès monumentales et ses colonnes proto-doriques, inspirant plus tard l'architecture grecque.
Au cœur de Karnak, la "Chapelle Rouge" en quartzite abrite le sanctuaire de la barque sacrée d'Amon. D'autres projets majeurs incluent le temple de Spéos Artémidos dédié à la déesse-lionne Pakhet et les nombreuses restaurations de monuments anciens à travers l'empire.
Contrairement aux idées reçues, Hatchepsout ne négligea pas les affaires militaires. Elle mena une campagne victorieuse en Nubie et maintint l'hégémonie égyptienne sur ses territoires. Néanmoins, elle privilégia la diplomatie et le commerce international, assurant ainsi à l'Égypte une période de stabilité et de prospérité rarement égalée.
Après deux décennies d'un règne prospère, le mystère entourant la fin d'Hatchepsout demeure l'un des plus fascinants de l'égyptologie moderne.
Dans sa cinquantième année, en l'an 22 de son règne, Hatchepsout s'éteint. Une stèle découverte à Hermonthis porte la date précise: "an 22, 2e mois de Peret, 10e jour" - jour où Thoutmôsis III devient officiellement l'unique souverain. Cette datation concorde avec les écrits de Manéthon, attribuant à la reine-pharaon un règne de vingt-et-un ans et neuf mois. Cependant, aucun document contemporain n'indique les causes exactes de son décès.
Le tombeau KV20, vraisemblablement le premier creusé dans la Vallée des Rois, s'enfonce à 97 mètres sous terre et s'étend sur environ 124 mètres dans un parcours semi-circulaire. Howard Carter y découvrit deux sarcophages, dont celui initialement prévu pour Hatchepsout mais finalement attribué à Thoutmôsis Ier. En effet, la reine-pharaon avait fait déplacer la dépouille de son père pour qu'il repose auprès d'elle. Un second sarcophage en grès rouge, d'une exécution remarquable, était destiné à Hatchepsout elle-même.
En 1903, Howard Carter mit au jour la petite tombe KV60 contenant deux momies féminines: l'une dans un sarcophage identifié comme celui de Sitre-In, nourrice d'Hatchepsout, l'autre simplement posée à même le sol. Cette seconde dépouille, remarquable par son bras replié sur la poitrine (posture royale), intrigua l'archéologue américaine Elizabeth Thomas qui suggéra qu'il pourrait s'agir d'Hatchepsout.
C'est seulement en 2007 que Zahi Hawass, secrétaire général du Conseil Supérieur des Antiquités égyptiennes, annonça avoir résolu ce mystère vieux de trois millénaires. Grâce à un scanner tridimensionnel, son équipe découvrit qu'un minuscule fragment de dent conservé dans un vase funéraire au cartouche d'Hatchepsout correspondait parfaitement à un emplacement vide dans la mâchoire de la momie obèse de KV60. Des analyses ADN furent également entreprises pour confirmer la parenté avec la reine Ahmès-Néfertary, grand-mère d'Hatchepsout, apportant ainsi une preuve supplémentaire à cette identification extraordinaire.
La disparition d'Hatchepsout des archives officielles égyptiennes constitue l'un des cas les plus méthodiques d'effacement mémoriel de l'histoire antique.
Après la mort d'Hatchepsout, Thoutmôsis III entreprit un processus systématique pour éliminer sa présence des monuments. Cette campagne s'intensifia vers la 42e année de son règne, probablement pour assurer une transition sans heurts vers son fils Amenhotep II. Ce dernier poursuivit l'œuvre d'effacement, considérant peut-être le règne d'une femme-pharaon comme une anomalie dangereuse pour l'ordre établi.
La damnatio memoriae (condamnation de la mémoire) prit diverses formes : destruction de statues, remplacement de son cartouche par celui de Thoutmôsis I, II ou III, et modification des inscriptions. Au temple de Deir el-Bahari, ses images furent recouvertes de plâtre ou martelées. Paradoxalement, cette tentative d'effacement contribua à sa préservation – les blocs portant son nom furent souvent utilisés comme remblai à l'intérieur d'autres constructions, les protégeant ainsi des intempéries.
C'est Jean-François Champollion qui, le premier, identifia Hatchepsout comme une femme ayant exercé le pouvoir suprême. Plus tard, les fouilles de sites comme Deir el-Bahari révélèrent progressivement l'ampleur de son règne. En 1903, Howard Carter découvrit sa chapelle funéraire, puis sa tombe.
Désormais, Hatchepsout symbolise la première femme d'État documentée de l'histoire. Son règne remet en question les idées préconçues sur le pouvoir féminin dans l'Antiquité. Son histoire continue d'inspirer chercheurs et artistes, témoignant de la puissance d'une volonté qui, malgré vingt siècles d'effacement, resurgit pour prendre sa place légitime dans l'histoire.
Ainsi s'achève l'histoire fascinante d'Hatchepsout, cette femme exceptionnelle qui osa défier les conventions de son temps. À travers les siècles, son règne demeure un témoignage remarquable de détermination et d'audace politique. Malgré les tentatives d'effacement, son empreinte sur l'Égypte ancienne reste indélébile.
Sans aucun doute, Hatchepsout a transformé son royaume par ses visions architecturales ambitieuses. Vous pouvez encore aujourd'hui admirer son chef-d'œuvre à Deir el-Bahari, preuve tangible de son génie créatif. Par ailleurs, ses initiatives commerciales, notamment l'expédition vers Pount, ont ouvert de nouvelles routes et apporté des richesses considérables à l'empire égyptien.
Contrairement aux préjugés de son époque, elle a su gouverner avec sagesse et efficacité pendant plus de deux décennies, offrant à son peuple une période de paix et de prospérité. Certainement, ce bilan impressionnant explique pourquoi son souvenir a résisté aux tentatives méthodiques d'effacement orchestrées après sa mort.
La redécouverte progressive de son histoire constitue également une victoire posthume contre ceux qui voulaient la condamner à l'oubli. En effet, grâce aux avancées de l'égyptologie moderne, vous pouvez désormais apprécier l'ampleur de ses réalisations et comprendre sa place unique dans l'histoire.
Finalement, au-delà des mystères qui entourent encore certains aspects de sa vie et de sa mort, Hatchepsout incarne la première femme d'État documentée de l'histoire mondiale. Son parcours extraordinaire, de princesse à régente puis pharaon, nous rappelle que le pouvoir n'a pas de genre et que les barrières imposées par les conventions peuvent être transcendées par une volonté exceptionnelle.
Q1. Pourquoi Hatchepsout est-elle considérée comme une figure exceptionnelle dans l'histoire de l'Égypte ancienne ?
Hatchepsout se démarque comme l'une des rares femmes pharaons de l'Égypte antique. Contrairement à la tradition, elle n'a pas hérité du trône en tant que fille, mais a pris le pouvoir et régné pendant plus de 20 ans, marquant une période de prospérité et de paix pour l'Égypte.
Q2. Quelles sont les principales réalisations d'Hatchepsout durant son règne ?
Pendant son règne, Hatchepsout a lancé d'importants projets de construction, notamment le temple de Deir el-Bahari. Elle a également organisé une expédition commerciale majeure vers le pays de Pount et fait ériger des obélisques impressionnants à Karnak, démontrant ses compétences en tant que dirigeante et bâtisseuse.
Q3. Comment Hatchepsout a-t-elle légitimé son pouvoir en tant que femme pharaon ?
Hatchepsout a utilisé la stratégie de la théogamie, affirmant être née de l'union entre le dieu Amon et sa mère. Elle a également adopté les attributs masculins traditionnels des pharaons, y compris la barbe postiche, pour renforcer sa légitimité en tant que souveraine.
Q4. Que sait-on de la fin du règne d'Hatchepsout et de sa momie ?
La fin du règne d'Hatchepsout reste mystérieuse. Sa momie a été identifiée en 2007 grâce à des analyses ADN et à la correspondance d'un fragment de dent. Elle est actuellement exposée au Musée national de la civilisation égyptienne au Caire.
Q5. Pourquoi l'histoire d'Hatchepsout continue-t-elle de fasciner aujourd'hui ?
Hatchepsout fascine encore aujourd'hui car elle représente la première femme d'État documentée de l'histoire. Son règne remet en question les idées préconçues sur le pouvoir féminin dans l'Antiquité et son histoire de succès, malgré les tentatives d'effacement, continue d'inspirer et d'intriguer les chercheurs et le grand public.